Visite familiale

Depuis combien de temps Rose McAllister n'avait-elle pas rendu visite à la tombe de ses parents ? Enterrés côte à côte, ils devaient surement être heureux ensemble s'il existait un endroit où l'on allait après la mort. Sa mère lui avait tellement de fois raconté leur histoire que la jeune femme ne pouvait pas douter sur la source de leur amour. C'était à cause de ce sentiment qu'Erin avait été incapable d'être avec un autre homme. Peut-être aussi parce que Rose lui rappelait trop Matt, le père qu'elle n'avait jamais connu. Etrangement, elle avait toujours apprécié les moments passés au cimetière, à s'imaginer des choses qui auraient dû se produire et à se souvenir des quelques moments réellement heureux de son enfance, sans la moindre impression de manque. Et puis personne n'entretenait leurs tombes à part elle. Regardant les noms sur les deux plaques côtes à côtes, le policier qu'elle était prononça une nouvelle fois dans sa tête : Rose Roller. Ca ne sonnait pas vraiment bien de toute façon. Rose McAllister était agréable à l'écoute. Le nom qu'elle aurait dû porter sonnait un peu lourd. Au final, tout avait peut-être commencé pour une histoire de nom. Idée stupide. En même temps, c'était ce genre d'idées qui ne la faisait pas sombrer dans la déprime dans ces moments-là.

Car Rose n'était pas comme les autres, à pleurer dès qu'elle avait fait ses premiers pas dans un cimetière en pensant qu'elle aurait pu avoir une vie tellement meilleure avec ses proches encore en vie ! Ce qui était arrivé était arrivé, et se laisser aller pouvait l'empêcher d'avancer. Bien sûr, elle regrettait sa mère et pensait souvent à elle. Bien sûr, elle aurait aimé pouvoir connaître son père. Mais elle avait depuis une dizaine d'année une famille adoptive qui s'était toujours bien occupée d'elle. Selon Rose, ses blessures étaient refermées et cicatrisées. Alors qu'en réalité, elles ne faisaient que s'ouvrir un peu plus chaque jour.
Depuis quelques semaines, elle s'était de moins en moins rendue devant la tombe de ses parents A quoi cela servait-il ? Chaque fois qu'elle quittait les lieux, ce n'était plus le même sentiment de paix qui l'habitait, mais essentiellement de l'injustice. Et de la colère. C'était bien à cause de ça qu'elle n'y retournait plus aussi souvent qu'avant. Passant une main dans ses cheveux blonds, la jeune femme poussa un soupir.

Ridicule. Elle se trouvait ridicule d'être ici, à fixer deux tombes dans l'espoir de faire disparaître une sensation qui l'habitait depuis tellement longtemps qu'elle ne se souvenait même pas d'avoir vécu seule. Elle n'aimait pas être nostalgique de choses qui n'avaient jamais existées, ou d'une enfance qui n'avait jamais été facile. On ne pouvait pas oublier ses racines. On ne pouvait pas s'empêcher de les aimer. Alors non, elle ne s'était jamais sentie aussi ridicule, là, vêtue d'un slim noir, d'un tee-shirt long blanc, de sa veste en cuir et de son bonnet noir. Ses vrais parents auraient sûrement honte de la voir s'attacher à des choses qui la faisaient souffrir. Mais il ne fallait pas croire qu'elle se montrait comme ça tous les jours. Aux yeux de tous, elle n'était qu'une personne qui écoutait les problèmes des autres pour s'intéresser peu à sa personne. Cette description lui correspondait bien. Il ne manquait plus que...

- Il manquerait plus que je vous parle pour atteindre le summum du pathétique. Ca y est, c'est fait.

Soupirant une dernière fois, elle avait fait un mouvement de recul avant de regarder la dernière fois les deux tombes qu'elle était venue voir. "Mère formidable" et "Homme d'exception" reposaient côte à côte. Alors, à quoi aurait-elle droit lorsqu'elle serait morte ? Préférant ne pas penser à la question, Rose se passa une main sur sa nuque pour frotter l'endroit où la marque bizarre était apparue, quelques temps plus tôt. Un frisson la parcourut. Depuis un moment, elle se sentait plus perdue qu'avant, et si à la base, elle ne ressentait cela que lorsqu'elle se retrouvait devant ses "parents", ce sentiment était de plus en plus fréquent. Et elle n'avait jamais aimé ça Pour avancer, Rose s'était toujours donné un but, et d'une certaine manière, elle avait l'impression qu'en tant que représentante des forces de l'ordre, elle apportait un peu plus de justice dans un monde trop injuste pour elle.

- Oui... c'est fait.

La voix froide résonna derrière Rose. C'était Darren Roller, son oncle qui venait de briser le silence du cimétière. Il pouvait l'approcher car la jeune femme ne le connaissait pas. Lorsqu'ils étaient plus jeunes, Darren et Matt se ressemblait physiquement et moralement aussi. Mais le destin ayant opté pour des chemins opposés, un grand fossé les avait séparés. Mais même pour quelqu'un qui connaissait Darren depuis qu'il était un Démon, ce personnage aurait paru étranger. Le regard froid et meurtrier semblait être devenu humain... et ce petit sourire cruel avait disparu. A bien le voir, on aurait pu penser qu'il était un homme normal, ayant juste un gout prononcé pour le noir. Le costume qu'il portait contrastait bien avec sa peau pâle... On aurait qu'il était malade, atteint d'une maladie du sang genre leucémie. Ses yeux pétillants se posèrent sur la jeune femme et il dit :

- Il n'y a pas de honte à parler aux morts... je suis persuadé que votre père vous entend... votre mère aussi, bien que je ne l'ai pas connue. Matthew ne me l'avait jamais présentée.

En réalité, son frère n'en avait pas eu le temps vu qu'il était mort la veille de leur déménagement. Quoiqu'il en soit même dans les propos qu'il tenait on pouvait voir qu'il y avait eu un clash important... Lui qui n'hésitait pas à égorger des enfants en pleine rue juste pour se satisfaire, voilà qu'il parlait avec un ton compatissant, doux... même... Quelle mouche l'avait donc piquée ? Depuis sa rencontre avec Matthew, il avait compris une chose. Satan ne serait pas un ennemi, son allégeance n'avait donc été que renforcée. Mais la guerre contre son frère n'était pas terminée... Matt avait gagné une bataille mais Darren n'avait pas encore dit son denrier mot. Il était impossible au père de Rose de l'approcher mais lui le pouvait... la jeune fille n'avait du le voir qu'en photo, lorsqu'il était adolescent... peut-être même jamais. Il tendit une main vers elle et dit :

- Je devrais peut-être me présenter. Je m'appelle Josh Balson. J'étais un ami d'enfance de votre père... Nos routes se sont croisées à une période. Vous vous demandez sans doute comment je sais que vous ètes sa fille. En réalité, je vous ai remarquée souvent à cette tombe, il y a un certain temps mais je n'osait pas venir vous troubler. Vous lui ressemblez beaucoup...

Une expression de gravité passa sur son visage et Darren s'approcha de la tombe sur laquelle il déposa une rose blanche. Il regarda la plaque et un éclair de mlaveillance passa sur son visage. Rose ne pouvait pas le voir, vu qu'il lui tournait le dos. Mais ce regard sombre, violent, dénué d'un quelqconque expression regardait à présent la tombe d'un air sinistre. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres et il se releva :

"Je l'aurais... et tu ne pourras rien y faire... Regarde-moi bien, Matthew... elle va te filer entre les doigts... je sens sa marque qui lui chatouille la nuque..."

- Cela fait si longtemps... mais la peine est toujours là...

Il passa une main sur ses yeux redevenus humains qui brillaient légèrement. Puis il se tourna vers Rose et reprit la voix nuancée de léger regrets :

- J'imagine qu'il doit vous être difficile pour vous de venir ici... je ne veux pas vous déranger, je crois que je vais y aller...

Il posa sa main sur l'épaule de Rose et dit avec un brin d'admiration :

- Votre père aurait été fier... vraiment... et n'ayez pas honte de leur parler... Ils vous écoutent...

Une voix à la fois grave et froide résonna derrière Rose, en réponse à ses propres paroles. Oui. C'était fait. Elle leur avait parlé. Elle qui, il n'y avait pourtant pas si longtemps, débitait un flot de paroles incroyable aux deux tombes qui se trouvaient en face d'elle, se trouvait aujourd'hui ridicule de leur dire quelque chose. Sous terre, il n'y avait que leurs restes, ce qui n'avait jamais été très engageant pour débuter une conversation. La jeune femme ne se retourna pas lorsque les mots d'un inconnu furent prononcés. Elle devait avoir l'air ridicule en ce moment. Sa propre attitude l'agaçait. Sans doute détestait-elle réellement s'accorder du temps à elle seule, puisque de toute façon, il n'y avait qu'un seul endroit dans lequel elle le passait : le cimetière. Charmant. Mais en ce moment, s'oublier en aidant les autres ne lui donnait plus la même satisfaction. Il y avait toujours quelque chose qui ne collait pas. En même temps, le lieu n'invitait pas vraiment à faire la fiesta. Il était probablement logique que Rose déprime légèrement. Ca n'avait rien de drôle, de se retrouver devant les tombes de ses parents, même si on n'avait jamais connu l'un d'entre eux.

Puis la jeune femme tourna enfin la tête pour voir celui qui avait pris la parole une seconde fois. L'observant, elle put constater que la pâleur de sa peau n'avait rien de très rassurante sur l'état de santé de ce dernier. Apparemment, il s'était habillé pour l'occasion. Que du noir. En même temps, peu de personnes se revêtaient de couleurs vives pour se rendre au cimetière. L'attention de Rose fut plus particulièrement attirée lorsqu'il évoqua légèrement la relation qu'il avait eu avec son père. Son regard s'éclaircit légèrement. Alors il avait connu Matt Roller ? Il était la première personne à le lui dire, si l'on mettait évidemment de côté sa mère. Ce fut à son tour de prendre la parole :

- Ma mère était quelqu'un de formidable... Pour ce qui est de mon père... Je n'ai eu que son avis à elle pour le connaître. Et je ne pense pas vraiment que les morts puissent nous entendre. Enfin, je ne le pense plus en fait.

Parce que lorsqu'elle avait été enfant, Rose avait connu, comme tous les autres, cette obstination à croire que tous ses proches disparus pouvaient l'entendre quand elle leur parlait. Ce qui était à des années lumières de sa vision des choses maintenant. Bien entendu, elle avait continué à parler aux tombes pour se cacher cette vérité et se soulager elle-même la conscience. Malgré ses efforts, la jeune femme ne les oubliait pas. Mais à ses yeux, tout cela devenait de plus en plus ridicule... Alors que d'un autre côté, elle n'avait pas encore envie de couper tous liens avec eux : un homme qu'elle n'avait jamais connu, et une femme qui était partie bien trop tôt. Serrant la main que le dénommé Josh Balson lui tendait, sa marque lui donna une impression suffisamment désagréable pour la gêner, sans pour autant lui faire mal. Préférant ne pas réagir pour ne pas vexer non plus l'homme qui s'était présenté à elle, Rose ne put s'empêcher de l'écouter attentivement. Ami d'enfance de son père ? Il avait l'air assez... Jeune. Son père aurait dû avoir aujourd'hui près de la cinquantaine, alors que l'inconnu ne semblait pas dépasser la trentaine. Mais plus il parlait, plus elle avait l'impression qu'il l'avait effectivement connu. Josh devait tout simplement faire... Plus jeune que son âge.

- Rose McAllister. Vous deviez être jeune alors quand vous l'avez connu, il avait l'air d'être plus vieux que vous, ou alors vous êtes plutôt bien conservé. Je... Ne vous avais jamais remarqué avant, désolée. Oui, j'ai ses yeux. Ma mère me le répétait toujours. J'en suis assez fière, c'est la seule chose que j'ai pu recevoir de lui.

Profitant du fait qu'il pose une rose sur la tombe de ses parents, Rose frotta sa marque avec discrétion, espérant faire passer cette sensation désagréable qui l'envahissait. Devenue presque aussi pâle que Josh, elle aurait quasiment pu avoir quelque chose d'inquiétant si l'on ne s'attardait pas sur l'air frais de son visage. La voix de l'homme la rappela à l'ordre. Oui. Ce devait être assez difficile pour quelqu'un qui avait connu son père. Encore plus pour lui que pour elle en fait, puisqu'elle n'avait jamais eu l'occasion de le voir vraiment de ses propres yeux, et non pas celui d'un ppareil photo. Elle n'avait aucun mal à savoir depuis combien d'année Matt Roller avait disparu. 26 ans. Son âge. Acquiesçant d'un signe de tête, elle préféra ne pas répondre, conservant un silence respectueux envers le mort et celui qui lui tenait compagnie pour le moment tout en baissant les yeux... Qu'elle releva sur Josh lorsqu'il lui posa sa main sur l'épaule. Soutenant son regard, un sourire à la fois triste et reconnaissant étira ses lèvres dans un :

- Vous pouvez rester. Ca ne me dérange pas, et puis leurs tombes se voient rarement décorées par une rose blanche quand elle ne vient pas de moi. Je suppose que ça leur ferait plaisir... Enfin à mon père au moins.

Continuant de l'observer sans être non plus insistante et ainsi paraîte impolie, un nouveau détail appréciable pour elle lui fit prononcer d'autres paroles :

- Vous avez les mêmes yeux que moi... Enfin que lui... Ca revient au même de toute façon. Pour ce qui est de leur parler, je ne pense pas vraiment qu'ils puissent m'écouter. Peut-être ma mère, mais pas une personne qui ne m'a jamais connue.

- C'est vrai... il disait souvent que j'aurais pu être son autre petit frère. J'étais jeune quand je l'ai connu... vous savez, nous vivions dans un quartier défavorisé... c'était assez violent. Il y avait souvent du racket, des agressions... je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi courageux que lui. Il m'a sauvé la vie plusieurs fois... j'aurais aimé lui rendre la pareille... il est parti trop tôt... et son frère s'est retrouvé seul... Le même jour, il a perdu son père et son grand frère... je n'ose pas imaginer combien ça a du être très pénible pour lui. Comme pour votre mère... Je m'étais promis de l'aider... mais comme elle ne me connaissait pas, je ne voulais pas non plus la déranger. J'étais bien conscient que l'aborder après cette mort tragique risquait de la rendre malheureuse.

Darren enleva sa main de l'épaule de sa nièce. Il lui fit un sourire compatissant. Suivant l'angle du soleil, son visage parassait plus vieux, comme marqué par quelque chose qui aurait pu ressembler au temps. Mais il s'avéra que c'était une fine cicatrice, légèrement dessiné, celle qu'il s'était faite en sautant du 33ème étage de le DPF&SE Company. Avec un habile concours de circonstances, Darren appliqua le bout de ses doigts dessus pour répondre à la question de la jeune femme qui devait se demander d'où elle lui venait :

- C'est un de ceux qui m'agressaient souvent... un jour, il m'a frappé avec de la tôle... venant sans doute d'un baril. J'étais à moitié assomé quand votre père est venu vers moi et m'a conduit à l'hôpital... C'était vraiment quelqu'un de bien...

Il finit sa phrase avec une émotion palpable dans la voix et s'essuya le coin des yeux. Quiconque le connaissait ens erait tombé à la renverse. Jamais, au grand jamais, Darren n'avait su faire preuve d'une telle humanité... C'était comme si soudain il avait quitté les rangs de Satan pour devenir quelqu'un d'à peu près normal... Mais c'était là toute la subtilité du piège dans lequel il voulait faire tomber Rose. Car il était bien déterminer à la faire basculer... la marque l'aiderait. Pour l'instant, la première partie de son plan était de faire connaissance. Et cela marchait plutôt bien car, rien n'aurait pu laisser présager qu'il n'était pas sincère :

- Je suis certain qu'il serait fier de vous. Il doit l'être de là où il nous regarde... Dieu veille toujours sur les gens vertueux, généreux. Vous ne l'avez jamais connu et c'est très regrettable. Il aurait fait un père exemplaire... après tout, il jouait déjà ce rôle avec son petit frère. Il n'a pas mérité la fin qu'il a eu et croyez-moi, je suis fier d'honorer sa mémoire. Je crois profondément en Dieu et en la nature humaine et je le vois bien, avec ses yeux rassurants rieurs, si optimistes vous regarder de là où il est... Ecoutez le vent souffler... il vous parle... il doit vous dire qu'il vous aime car vous étiez, vous et votre mère, le rayon de bonheur qui a illuminé sa triste et courte vie.

Pour que lui, Darren Roller sorte une énormité pareille avec une si grande conviction et une telle sincérité, c'est qu'il y avait quelque chose de vraiment changé... Il s'était remis lentement de sa rencontre avec Matthew au niveau de ses blessures. Là il avait bandé sa poitrine pour empêcher le sang de ce qu'il lui restait de coeur de s'écouler. Mais mentalement, Darren avait toujours montré des aptitudes remarquables, il était capable de s'insinuer dans l'esprit des gens avec une facilité et une discrétion incroyables... Il était fort rare qu'il n'use pas de sa capacité contre les humains et Rose devait d'ailleurs s'en estimer heureuse car lorsqu'il le faisait, il n'y allait jamais en douceur. Visiblement, s'ajoutait à son panel un nouveau talent, celui de contrôler sa haine et sa colère... sans doute un résidu de la bataille qu'il avait perdu. Il soupira, ses yeux brillants et jeta un oeil à la rose.

- Je laisse généralement des pétales de rose blanche quand je viens les voir... car il est clair qu'ils allaient se marier... Il l'aimait beaucoup, et la lendemain de sa mort, lui et son petit frère devait déménager. C'est vraiment remarquable de voir comme il était bon alors que son père était horrible... surtout envers son cadet...

En présence de Josh, Rose se sentait presque coupable. Il lui rappelait tellement de choses qu'elle avait fini par ne plus vouloir penser, qu'elle avait l'impression de n'avoir pas sû accomplir le devoir qu'elle devait à ses parents. La jeune femme était touchée, émue par ses paroles. Son père avait dû être vraiment quelqu'un de formidable durant sa courte vie. Si elle l'avait cru quand sa mère lui en avait parlé, cette vérité se voyait encore plus imposante lorsqu'elle était dite par une personne qui lui était encore inconnue il y avait quelques heures. Et puis elle avait un oncle. On ne le lui avait jamais dit. Pourquoi n'était-il jamais venu les voir, Erin et elle ? Peut-être avait-il préféré couper tous liens avec ce qui se rapprochait de son frère. Quelque part, elle avait peut-être quelqu'un qui faisait partie de sa vraie famille. Ou alors comme tous les autres, la mort pouvait l'avoir emporté... Avec sa chance, elle n'aurait pas été étonnée... Mais la découverte de l'existence du frère de Matthew Roller éveilla une nouvelle fois sa curiosité.

Lorsque l'ancien ami de son père parla de sa mère et de son envie de l'aider, Rose eût un pincement au coeur. Elle avait déjà eu la certitude, à l'enterrement de cette dernière, qu'énormément de personnes avaient eu ce désir de la soutenir. Et personne n'avait jamais rien fait finalement. Sinon, Erin McAllister ne serait pas morte de la violence de son propre père. Tout comme Matt Roller. Mais il s'avérait bien souvent que malgré les propositions de soutien, personne ne venait réellement. Préférant détourner le regard des deux tombes et de Josh, la jeune femme espéra retenir les quelques larmes qui lui montaient aux yeux. Elle était trop sensible, mais elle ne se montrait jamais comme cela devant les autres. D'une voix légèrement troublée, qui montrait tout de même qu'elle avait été énormément affectée par la disparition de cette dernière, elle avait prononcé dans un souffle :

- Elle en avait pourtant besoin. Plus que n'importe qui. C'est pour ça qu'elle est là maintenant. Elle était déjà malheureuse. Tout comme mon père et son frère. Ils n'ont pas reçu d'aide de la part de leurs amis, et voilà comment le premier a fini. Pour le second, je ne savais même pas qu'il existait.

En tant que policier, Rose avait déjà rencontré des cas de violences dans ces mêmes quartiers défavorisés. Mais elle-même en avait connu, sans pour autant avoir grandi dans un endroit mal famé. Sa mère avait dû s'en sortir seule, avec une enfant à charge. Personne ne l'avait aidée, tous ses amis semblaient l'avoir oubliée, et pourtant, elle avait gardé le sourire pour enseigner à sa fille qu'on pouvait être heureux dans l'adversité... Ou au moins faire semblant de l'être. Relevant les yeux vers son interlocuteur, elle avait pu apercevoir cette cicatrice qu'il avait sur son visage. Rose avait à peine ouvert la bouche pour interroger Josh sur la nature de cette dernière qu'il lui répondit sans qu'elle ait pu prononcer le moindre mot. Il était fort. Toute sa sensibilité, tout son chagrin, la jeune femme était obligée de lutter contre, renvoyant les sanglots et les larmes qui pouvaient venir de là où ils naissaient. Elle ne voulait pas perdre tous ses moyens devant un inconnu qui semblait en savoir plus sur son père qu'elle-même, ce qui était logique d'une certaine façon.

- Plus de personnes que mon père seulement auraient dû venir vous aider. Ce n'est... Pas juste. Il a payé pour d'autres.

L'émotion se sentait dans les paroles de l'homme en face d'elle. Rose ne doutait pas de lui une seule seconde. Depuis sa mère, on ne lui avait jamais plus parlé de son père de manière aussi belle. Fixant la tombe de ce dernier, elle s'était laissée séduire par l'idée qu'il serait probablement fier d'elle en la voyant. Elle n'écoutait pas le vent, mais essayait plutôt de s'imaginer le son de sa voix.

- Pourquoi vous n'êtes pas venu plus tôt ? Et pourquoi pas mon oncle aussi ? Il n'était pas mort lorsqu'on a volé la vie de mon père apparemment. C'est ce qu'il aurait voulu lui pourtant, non ? Vous croyez en la nature humaine, ce que je respecte et que je comprends car moi aussi, mais vous n'avez jamais ressenti au moins un peu d'injustice dans tout ce qui vous est arrivé ? Comme vous l'avez dit, mon père était quelqu'un de bien, et vous avez l'air d'être bien vous aussi. Vous auriez dû avoir une existence belle et longue. Mais il est mort, ma mère aussi, et vous avez les cicatrices de la violence de votre jeunesse et les regrets d'avoir perdu un ami cher. Ce n'est... Pas normal.

Les paroles de Rose avaient dépassé sa pensée. Elle avait laissé l'émotion la gagner et elle sentait déjà une larme couler sur sa joue, qui ne fut pourtant pas suivie d'autres, la jeune femme reprenant le dessus sur ses sentiments. Ne l'essuyant pas, ses yeux restant toujours humides, elle fixait obstinément la tombe de son père pour cacher au moins un minimum sa sensibilité. ses mains tremblaient. Elle avait la gorge nouée. Si elle reprenait la parole, les sanglots ne tarderaient pas. Aussi garda-t-elle un silence qu'elle fit passer pour une prière pour ses parents. Le temps que Josh lui parle, Rose avait reprit ses esprits pour reposer ses yeux sur lui. La famille Roller aurait pu s'enfuir si Matt n'était pas mort sous la violence de son propre père. Erin avait connu le même sort, une quinzaine d'années plus tard.

- Comment est-ce qu'il s'appelait... Mon oncle ? Et qu'est-ce qu'il est devenu à la mort de mon père ? On ne m'a jamais parlé de lui avant vous aujourd'hui... Alors que si tout s'était bien passé, j'aurai pu le connaître lui aussi.

- Oh vous savez, votre oncle n'était pas du genre à s'attacher aux gens... Votre père avait beau lui être derrière, il n'en faisait qu'à sa tête. Ce n'était pas un mauvais bougre, du moins lorsque Matthew était là. Il s'appelait Darren... sa tombe doit être dans ce cimetière, quelque part... il est mort beacoup plus tard. Il faut que vous compreniez que la seule autorité ou le seul amour qu'il avait, c'était celui de votre père. Matt a toujours veillé sur lui plus que sur lui-même. Lorsqu'il est mort, l'histoire a très mal tourné pour votre oncle. Je pense qu'il n'avait plus aucun repère et que c'est pour ça qu'il s'est enfoncé si loin dans les affaires sombres. De plus, votre mère ne l'avait jamais vu, Matt lui en parlait, ça j'en suis certain mais il ne se sont jamais rencontrés.

Darren, alias Josh jeta un regard à la tombe et son visage sembla se durcir légèrement lorsqu'il poursuivit :

- Il a mieux valu pour vus que vous ne le connaissiez jamais. J'ai peine à croire qu'un homme puisse être aussi cruel et tomber aussi bas. C'était un brave garçon, pourtant... Il était si content quand votre père l'emmenait avec nous à l'extérieur pour voir un film ou manger. Je ne veux pas vous faire offense, mais, Darren est devenu une véritable ordure. On n'a jamais su vraiment ce qu'il était devenu et comment il a été assassiné. J'ai mon hypothèse, je me dis qu'il est sans doute allé trop loin dans la hiérarchie... forcément, le pouvoir attire la convoitise.

Il s'arrêta, songeur. Non, personne à cet instant ne l'aurait trouvé normal. Il se dénigrait, enscencé son frère et pire que tout il parlait à de la vermine humaine.

- Je suis désolé... je ne voulais pas vous faire une peine quelconque. Je me rends compte que je vous ai fait miroiter un instant la possibilité qu'il existe un proche encore vivant... je ne comptais pas rendre malheureuse. Tenez...

Il sortit un kleenex et lui tendit. Tout ça semblait et sonnait si juste... Son ton attentif, ses propos, son attitude car il avait la larme à l'oeil lui aussi. Qui aurait pu savoir ce qu'il pensait au fond de lui, sa véritable nature, même Satan aurait pu s'y tromper au début. Il fallait entrer dans son esprit profondément pour distinguer son véritable clan. Mais, il poursuivit toujours avec la même sincérité, déroutante :

- Votre père avait commis des erreurs, lorsqu'il était plus jeune, dont celle de ne pas s'occuper de lui tant que ceux qu'il aimait étaient heureux. Ne faites pas de même... vous pouvez pleurer... je ne vous jugerai pas. Moi aussi, ça m'arrive. Des fois, je repense à ce qu'il disait, qu'un jour il sortirait de ce trou à rats qu'il fonderait une famille. Il voulait vivre dans le centre ville, il disait qu'Erin pourrait y trouver un bon emploi et que leur enfant pourrait grandir paisiblement. Son frère aussi devait faire partie du voyage. Il avait prévu de l'élever jusqu'à sa majorité pour l'éloigner de leur père... Ce qui s'est passé est une pure tragédie... quant à moi, je n'ai jamais osé approcher votre mère. Elle ne me connaissait pas tellement et j'avais peur d'éveiller des souvenirs trop douloureux... elle paraissait si fragile. Et avec le temps, j'ai fini par me dire que vous étiez mieux sans quelqu'un pour lui rappeler le passé. J'ai peut-être eu tort...